Chapitre 8

 

Ford avait son code éthique personnel. Il n’avait rien de renversant, mais c’était le sien et il s’y tenait, plus ou moins. L’une de ses règles était de ne jamais payer lui-même ses consommations. Il n’était pas sûr qu’on pût l’assimiler à une valeur éthique mais il faut faire avec ce qu’on a. Il était de même fermement et totalement opposé à toute forme de cruauté envers les bêtes, quelle que soit leur espèce, les oies exceptées. Et plus important, il n’aurait jamais volé ses employeurs.

Enfin, voler n’est peut-être pas le terme exact.

Si son chef comptable ne se mettait pas à hyper-ventiler et à déclencher le bouclage d’urgence de l’immeuble lorsque Ford lui tendait ses notes de frais, Ford estimait n’avoir pas fait convenablement son boulot. En revanche, voler, c’était tout autre chose. C’était mordre la main qui vous nourrit. La baiser avec une passion extrême, voire la mordiller, disons, affectueusement, d’accord, mais la mordre vraiment, pas question. Surtout quand la main était le Guide. Le Guide était quelque chose de spécial, de sacré.

Mais tout ça, songeait Ford en fonçant tête baissée pour gagner le pied de l’immeuble, était sur le point de changer. Et ils ne pouvaient s’en prendre qu’à eux-mêmes. Regardez-moi ce désastre. Des rangées entières de boxes gris bien alignés pour les terminaux des secrétaires et d’alcôves pour les stations de travail des cadres. Partout régnait, sinistre, le bruissement des mémorandums et des comptes rendus de réunion parcourant le réseau électronique. En bas, dans la rue, ils jouaient peut-être à Chasse-le-Wocket, mais ici, par Zarquon, au cœur même des bureaux du Guide, pas un seul employé n’avait l’insouciance de jouer au foot dans les couloirs ou de porter une tenue de plage aux couleurs inappropriées.

« L’InfiniDim S.A. », ricanait Ford tout en enfilant couloir sur couloir. Toutes les portes s’ouvraient successivement devant lui comme par magie. Les ascenseurs l’emportaient gaiement vers des étages auxquels il n’aurait pas dû accéder. Ford essayait de suivre l’itinéraire le plus complexe, le plus embrouillé possible, mais en gros toujours vers le bas. Son joyeux petit robot s’occupait de tout, diffusant des ondes d’approbation enthousiaste dans chaque circuit de sécurité qu’il rencontrait.

Ford estima qu’il lui fallait un nom et décida de le baptiser Emily Saunders, en souvenir d’une fille dont il conservait un souvenir ému. Puis il estima qu’Emily Saunders était un nom ridicule pour un robot de sécurité et décida de l’appeler plutôt Colin, comme le chien d’Emily.

Il s’enfonçait à présent dans les entrailles de l’immeuble, des zones où il n’avait encore jamais pénétré, des zones classées à sécurité croissante. Il commençait à croiser les regards intrigués des agents qu’il rencontrait. À ce niveau de sécurité, on ne les appelle même plus des gens. Et ils faisaient sans doute des trucs dont seuls des agents sont capables. Quand ils rentraient chez eux le soir, auprès de leur famille, ils redevenaient des gens comme les autres, et lorsque leurs petits enfants levaient sur eux leurs doux yeux brillants et demandaient : « Dis, papa, qu’est-ce que t’as fait toute la journée, aujourd’hui ? », ils se contentaient de répondre : « J’ai rempli ma mission d’agent », sans plus de détail.

Le fond de l’affaire était que toutes sortes de trucs pas catholiques se déroulaient derrière la façade enjouée et chaleureuse qu’aimait à présenter le Guide – du moins jusque-là, jusqu’à ce que toute cette nouvelle bande de l’InfiniDim S.A. ne débarque et commence à rendre l’affaire pas catholique du tout. C’étaient toutes sortes de fraudes fiscales, de rackets, de pots-de-vin et de contrats occultes qui soutenaient ce brillant édifice, et c’était dans les tréfonds des sous-sols dévolus aux recherches de sécurité et au traitement informatique que se déroulaient les choses importantes.

Tous les trois ou quatre ans, le Guide installait son siège et même son immeuble sur une autre planète et tout n’était à nouveau que rire et soleil le temps pour le Guide de s’enraciner dans la culture et l’économie locales, de créer de l’emploi, un sens de l’éclat et de l’aventure, et en définitive, pas autant de revenus que les autochtones auraient pu l’espérer.

Quand le Guide déménageait, emportant avec lui son immeuble, il partait un peu comme un voleur dans la nuit. En fait, très précisément comme un voleur dans la nuit. Il partait d’habitude aux petites heures de l’aube, et la journée suivante, on s’apercevait de la disparition de tout un tas de trucs. C’étaient des cultures et des économies entières qui s’effondraient dans son sillage, souvent en l’espace d’une semaine, laissant des planètes jadis florissantes complètement désolées, hébétées, mais quelque part convaincues d’avoir pris part à une grande aventure.

Les « agents » qui jetaient sur Ford des regards intrigués, alors qu’il s’enfonçait dans les zones les mieux gardées des tréfonds de l’édifice, étaient malgré tout rassurés par la présence de Colin, qui voletait sur ses pas dans un nuage de contentement et lui ouvrait la voie à chaque étape.

Des alarmes commençaient à carillonner aux autres étages du bâtiment. Peut-être cela signifiait-il que l’on avait déjà découvert Vann Harl, ce qui risquait de poser un problème. Ford avait espéré pouvoir discrètement remettre l’Identi-T-Aise dans sa poche avant qu’il n’ait repris ses esprits. Enfin, c’était un problème à régler plus tard, car, pour l’heure, il n’avait pas la moindre idée du moyen de le résoudre. Pour l’heure, il n’allait pas se tracasser. Où qu’il se rende avec le petit Colin, il était en effet entouré d’un cocon de douceur et de lumière et, plus important, d’une batterie d’ascenseurs diligents et amènes, et de successions de portes positivement obséquieuses.

Ford se prit même à siffloter, ce qui était sans doute une erreur. Personne n’aime les gens qui sifflotent, et surtout pas la divinité qui modèle nos destins.

La porte suivante refusa de s’ouvrir.

Et c’était regrettable car c’était justement celle que Ford visait depuis le début. Elle se dressait devant lui, grise et résolument close, avec une pancarte annonçant :

 

ENTRÉE INTERDITE

MÊME AU PERSONNE AU PERSONNEL AUTORISÉ.

VOUS PERDEZ VOTRE TEMPS ICI.

ALLEZ OUSTE !

 

Colin lui annonça que les portes s’étaient montrées dans l’ensemble de plus en plus mal embouchées à mesure qu’ils gagnaient les profondeurs du bâtiment.

Ils se trouvaient désormais au dixième sous-sol. L’air était climatisé et les murs revêtus de toile de jute grise de bon goût avaient laissé place aux cloisons d’acier riveté d’un gris vulgaire. L’exubérante euphorie de Colin s’était muée en une sorte d’entrain décidé. Il avoua qu’il commençait à se lasser un brin. Il lui fallait toute son énergie pour insuffler un minimum de bonhomie aux battants butés de cet étage.

Ford flanqua un coup de pied dans la porte. Elle s’ouvrit.

— Mêler plaisir et douleur, grommela-t-il. C’est imparable.

Il entra et Colin voleta derrière lui. Même avec un fil planté dans son électrode du plaisir, sa joie avait quelque chose de nerveux. Il parcourut les lieux en tressautant.

La salle était exiguë, grise et bourdonnante.

C’était le centre nerveux de l’ensemble du Guide.

Les terminaux d’ordinateur qui s’alignaient sur les murs gris étaient des fenêtres ouvertes sur toutes les facettes de l’activité de la maison. Ici, du côté gauche de la salle, les comptes rendus parvenaient par Sub-Etha réseau, transmis par les enquêteurs dépêchés aux quatre coins de la Galaxie, avant d’alimenter directement les bureaux des secrétaires de rédaction où tous les passages valables étaient systématiquement supprimés par leurs secrétaires parce que les secrétaires de rédaction étaient sortis déjeuner. Le reste de la copie était ensuite transmis dans l’autre moitié de l’édifice – l’autre jambage du H – qui était le service juridique. Le service juridique supprimait tout ce qui pouvait être encore à peu près valable avant de renvoyer ce qui restait aux rédacteurs exécutifs mais ceux-ci étaient également sortis déjeuner. Aussi était-ce leurs secrétaires qui lisaient le papier et, jugeant qu’il était stupide, supprimaient la majeure partie de ce qui subsistait encore.

Quand l’un ou l’autre rédacteur revenait enfin de déjeuner, la démarche titubante, il s’exclamait : « Mais quel est cet étron innommable que X » – X étant le nom de l’enquêteur en question – « nous expédie de l’autre bout de cette foutue Galaxie ? À quoi bon payer à quelqu’un trois périodes orbitales entières dans les Zones Télépathiques Gagrakackiennes, avec tout ce qui se passe là-bas, s’il n’est pas fichu de nous envoyer autre chose que cette giclée de transmission anémique ? Coupez-lui les vivres !

— Et que fait-on de la copie ? demandait alors la secrétaire.

— Ha. Balancez-la sur le réseau, Faut bien qu’ils aient quelque chose à se mettre sous la dent. Bon, moi je rentre, j’ai la migraine.

Et c’est ainsi que l’article repartait pour une nouvelle virée jusqu’au service juridique, avant de redescendre dans cette salle souterraine où il serait diffusé par Sub-Etha pour être accessible aussitôt n’importe où dans la Galaxie. Cette dernière opération était surveillée et contrôlée par les terminaux situés sur le côté droit de la salle.

Entre-temps, l’ordre de couper les vivres à l’enquêteur était transmis au terminal installé à l’écart à droite, et c’était précisément vers ce terminal que Ford se dirigeait maintenant à grands pas.

 

[Si vous lisez ceci sur la planète Terre, alors :

a) Bonne chance. Il y a une incroyable quantité de trucs dont vous ne savez rien de rien, mais vous n’êtes pas le seul dans ce cas. C’est juste au cas où les conséquences de ne rien savoir à tout un tas de trucs seraient particulièrement terribles mais enfin, hein, c’est comme ça que les biscottes se retrouvent transformées en chapelure.

b) N’allez pas vous imaginer que vous savez ce qu’est un terminal d’ordinateur.

Un terminal d’ordinateur n’est pas une espèce de vieux téléviseur déglingué avec un clavier de machine à écrire posé devant. C’est une interface permettant à l’esprit et au corps de se connecter avec l’univers et d’en déplacer des éléments.]

 

Ford se précipita vers le terminal, s’installa devant et se plongea sans plus tarder dans son univers.

Ce n’était pas l’univers normal qu’il connaissait. C’était un univers de mondes étroitement enchâssés, de topographies délirantes, de pics vertigineux, de ravins à couper le souffle, de lunes avalées par des hippocampes, de crevasses douloureusement suintantes, d’océans se gonflant en silence et de puits insondables et cabriolants.

Il se figea pour retrouver son équilibre. Il contrôla sa respiration, ferma les yeux, regarda de nouveau l’écran.

C’était donc à ça que les comptables passaient le plus clair de leur temps. Il ne fallait manifestement pas se fier aux apparences. Il jeta un regard prudent alentour, essayant de ne pas se laisser envahir, noyer et déborder.

Il ne savait pas comment s’orienter dans cet univers. Il ne connaissait même pas les lois physiques qui en déterminaient les limites dimensionnelles ou le comportement, mais son instinct lui dictait d’y rechercher le trait le plus évident qu’il pourrait détecter et de mettre le cap dessus.

Tout là-bas, à une distance incommensurable – était-ce à un kilomètre, à un million ou juste un moucheron dans son œil ? – s’élevait un pic stupéfiant qui s’arquait au-dessus du ciel, et s’élevait encore et encore pour culminer dans un épanouissement flamboyant d’aigrettes[4], d’agglomérats[5] et d’archimandrites[6].

Il boula, coula, roula dans sa direction et finit par l’atteindre après un machinième de seconde d’une longueur insensée.

Il s’y accrocha, bras écartés, s’agrippant tant bien que mal à la surface rêche et ravinée. Une fois assuré de sa prise, il commit l’épouvantable erreur de regarder vers le bas.

Tant qu’il avait boulé, coulé, roulé, la distance en dessous de lui ne l’avait pas inquiété outre mesure, mais à présent qu’il s’accrochait, elle lui mettait le cœur à l’envers et la cervelle en compote. Ses doigts crispés et douloureux étaient blêmes. Ses dents grinçaient, s’entrechoquaient et dansaient incontrôlablement les unes contre les autres. Ses yeux se révulsèrent, emportés sur la crête écumante de vagues de nausée.

Au prix d’un immense effort de volonté et de confiance aveugle, il se laissa simplement aller et poussa.

Il se sentit flotter. Au loin. Et puis, contre toute intuition, vers le haut. Toujours plus haut. Il rejeta les épaules en arrière, laissa retomber ses bras, leva les yeux et se laissa emporter sans résistance, toujours plus haut.

Avant longtemps, si tant est que de tels termes aient un sens quelconque dans cet univers virtuel, apparaissait devant lui une large corniche à laquelle il put s’agripper pour s’y hisser.

Il monta, s’agrippa, se hissa.

Il était un peu essoufflé. Tout cela était un peu stressant.

Il s’assit sur la corniche et s’y maintint de son mieux. Il ne savait pas trop si c’était pour s’empêcher de tomber ou de continuer à monter, mais il avait besoin d’avoir une prise sûre tandis qu’il examinait l’univers dans lequel il se retrouvait.

L’altitude vertigineuse de son perchoir s’empara de lui et lui vrilla la cervelle, le forçant à se plaquer, gémissant, les yeux clos, contre l’épouvantable immensité de la paroi rocheuse.

Lentement, il réussit à maîtriser de nouveau sa respiration. Il ne cessait de se répéter qu’il était simplement dans la représentation graphique d’un univers. Un univers virtuel. Une réalité simulée. Dont il pouvait ressortir, hop, à tout moment.

Il en ressortit, hop.

Il était assis dans un fauteuil de bureau pivotant en mousse recouverte de simili bleu, devant un terminal d’ordinateur.

Il se relaxa.

Il se trouvait au flanc d’un pic d’une hauteur impossible, perché sur une étroite corniche au-dessus d’un abîme d’une profondeur hallucinante.

Ce n’était pas seulement parce que le paysage était si loin en dessous de lui – il aurait bien voulu qu’il cesse aussi d’onduler et de refluer.

Il lui fallait trouver une prise. Et pas à la paroi rocheuse, qui n’était qu’une illusion. Il fallait qu’il ait prise sur la situation, qu’il soit capable d’examiner l’univers physique qu’il occupait tout en prenant ses distances avec lui du point de vue émotionnel.

Il prit sur lui et, de même qu’il avait repoussé la paroi rocheuse, il repoussa l’idée même de paroi rocheuse et s’abandonna, pour rester tranquillement assis, libre de ses mouvements. Il considéra le monde alentour. Il respirait sans problème. Il était détendu. Il se sentait de nouveau responsable.

Il se trouvait dans un modèle topologique quadri-dimensionnel des systèmes financiers du Guide, et quelque chose ou quelqu’un n’allait pas tarder à vouloir savoir ce qu’il faisait là.

D’ailleurs, ils arrivaient déjà.

Fondant sur lui à travers l’espace virtuel, arrivait une escadrille de créatures mauvaises aux yeux d’acier, aux petites têtes pointues, aux moustaches effilées et aux exigences tatillonnes pour qu’il justifiât de son identité, de sa présence ici, de son agrément, de l’agrément de son agent autorisé, de sa hauteur d’entrejambe et ainsi de suite. Des faisceaux laser l’entourèrent de toutes parts comme s’il était un vulgaire paquet de biscuits sur une caisse de supermarché. Pour l’instant, les gros fusils laser étaient encore rengainés. Que tout cela se déroulât dans un espace virtuel ne faisait aucune différence. Se faire tuer par un laser virtuel dans un espace virtuel est tout aussi définitif qu’en réalité, car vous êtes aussi mort que vous imaginez l’être.

Les lasers du scanner commençaient à s’agiter beaucoup, clignotant avec frénésie sur ses empreintes digitales, sa rétine et le motif des follicules pileux à l’amorce de sa calvitie. Ils semblaient ne pas apprécier du tout le fruit de leurs investigations. Le pépiement furieux de questions insolentes et nettement personnelles gagnait en intensité. Un petit grattoir chirurgical en acier s’approchait déjà de la peau de sa nuque quand Ford, retenant son souffle et murmurant une vague prière, sortit de sa poche l’Identi-T-Aise de Vann Harl pour la brandir devant eux.

Instantanément, tous les lasers se détournèrent vers la petite carte pour la scruter en tous sens, l’examiner et la déchiffrer jusqu’à la dernière molécule.

Puis, tout aussi soudainement, ils s’arrêtèrent.

L’escadrille entière de petits inspecteurs virtuels se figea au garde-à-vous.

— Ravis de vous voir, monsieur Harl, lancèrent-ils en un chœur chaleureux. Est-ce que l’on peut faire quelque chose pour vous ?

Ford se fendit lentement d’un sourire pervers.

— Vous savez quoi ? J’en ai bien l’impression.

 

Cinq minutes plus tard, il était sorti.

Une trentaine de secondes pour faire le boulot, et trois minutes trente pour dissimuler ses traces. Il aurait pu faire tout ce qu’il voulait, ou presque, dans la structure virtuelle. Il aurait pu transférer la propriété de l’ensemble de l’entreprise à son propre nom mais il doutait que ce fût passé inaperçu. D’ailleurs, il n’en voulait pas. Cela aurait signifié des responsabilités, de longues soirées de travail au bureau, sans parler d’interminables et spectaculaires enquêtes pour fraude et pas mal de temps derrière les barreaux. Non, ce qu’il voulait, personne d’autre que l’ordinateur ne pourrait le relever : c’était cela qui avait pris trente secondes.

Ce qui avait pris trois minutes trente, c’était de programmer l’ordinateur pour ne pas remarquer qu’il avait remarqué quoi que ce soit.

Il fallait qu’il désire ne pas savoir ce que tramait Ford pour que ce dernier puisse sans risque quitter l’ordinateur afin de mettre au point ses défenses personnelles pour empêcher l’information de ressortir. C’était une technique de programmation calquée sur les processus de blocage mental dont on a relevé invariablement l’apparition chez des individus par ailleurs parfaitement normaux, dès lors qu’ils sont élus à un poste de responsabilité.

La dernière minute fut consacrée à découvrir que le système informatique était déjà affecté d’un blocage mental. Et un gros.

Jamais Ford ne l’aurait découvert s’il n’avait pas été occupé à s’en confectionner un lui-même. Il tomba sur tout un tas de procédures de refus aussi calmes que plausibles et de sous-routines de diversion précisément là où il avait compté installer les siennes. L’ordinateur en nia bien évidemment l’existence, puis il refusa tout net d’accepter l’existence même de quoi que ce soit à nier, et se montra dans l’ensemble si convaincant que Ford en vint presque à se demander s’il n’avait pas fait une erreur quelque part. Il était impressionné.

Tellement impressionné, en fait, qu’il ne prit même pas la peine d’installer ses propres procédures de blocage mental ; il se contenta d’appels à celles déjà en place afin qu’elles s’auto-appellent dès qu’on les interrogeait et ainsi de suite, en boucle.

Il s’appliqua aussitôt à déboguer tous les fragments de code qu’il avait lui-même installés et découvrit alors qu’ils n’étaient plus là. Pestant, il les chercha partout mais fut incapable d’en retrouver la moindre trace.

Il s’apprêtait à les réinstaller quand il comprit que la raison pour laquelle il n’arrivait pas à les retrouver était tout simplement qu’ils fonctionnaient déjà.

Il eut un grand sourire satisfait.

Il essaya de découvrir la teneur des autres blocages mentaux de l’ordinateur, mais il semblait, et ce n’était pas une surprise, qu’ils étaient eux-mêmes affectés d’un blocage mental. En fait, il n’arrivait plus à en retrouver la moindre trace, c’est dire leur qualité. Il se demanda s’il n’avait pas rêvé tout ça. Il se demanda s’il n’avait pas imaginé que cela pût avoir un rapport quelconque avec un objet dans l’immeuble, ainsi qu’un rapport avec le chiffre 13. Il lança quelques tests. Oui, sans conteste, il l’avait imaginé.

Plus de temps à perdre en détours, désormais ; une alerte grave à la sécurité était en cours. Ford entra dans l’ascenseur pour gagner le rez-de-chaussée afin d’emprunter ensuite les cabines express. Il fallait qu’il trouve le moyen de remettre l’Identi-T-Aise dans la poche de Harl, avant qu’on s’aperçoive de sa disparition. Comment, il n’en savait rien.

La cabine s’arrêta et ses portes coulissèrent pour révéler un vaste détachement de vigiles et de robots de surveillance pressés de l’emprunter et brandissant des armes à l’aspect inquiétant.

Ils lui ordonnèrent de sortir.

Avec un haussement d’épaules, Ford s’avança. Aussitôt, le bousculant sans ménagement, ils s’engouffrèrent dans la cabine qui les emporta vers les sous-sols afin qu’ils y poursuivent leurs recherches.

Voilà qui était marrant, dit Ford en gratifiant Colin d’une tape amicale. Colin était sans doute le premier robot vraiment utile que Ford ait jamais rencontré. Il se mit à batifoler dans les airs devant lui, tout frétillant d’extase. Ford ne regrettait pas de lui avoir donné un nom de chien.

Il était fortement tenté de ne pas aller plus loin et de s’en remettre à la chance, mais il savait que la chance aurait bien plus de chance de lui sourire si Harl ne découvrait pas la disparition de son Identi-T-Aise. Il lui fallait, d’une manière ou d’une autre, trouver le moyen de la lui restituer en catimini.

Ils se dirigèrent vers les cabines express.

— Salut, dit la cabine dans laquelle ils entrèrent.

— Salut, répondit Ford.

— Hé, les gars, où puis-je vous conduire aujourd’hui ? s’enquit la cabine.

— Au vingt-troisième, répondit Ford.

— M’a l’air d’avoir du succès aujourd’hui, remarqua la cabine.

— Hmmm », songea Ford, appréciant modérément la remarque.

La cabine alluma l’étage vingt-trois sur son afficheur et se mit aussitôt à grimper comme une flèche. Un détail sur l’afficheur le titillait mentalement, mais il n’arrivait pas à savoir quoi et l’oublia bien vite. Il était plus inquiet d’apprendre que l’étage où il se rendait avait un tel succès. Il n’avait pas vraiment réfléchi à la conduite à suivre devant ce qui se présenterait, vu qu’il n’avait pas la moindre idée de ce qui se présenterait. Il faudrait improviser, point final.

Ils étaient arrivés. Les portes coulissèrent. Un calme menaçant. Un couloir vide.

Ils étaient devant la porte du bureau de Harl, dont le chambranle était recouvert d’une fine couche de poussière. Ford savait que cette poussière était en fait composée de milliards de minuscules robots moléculaires qui étaient sortis de l’encadrement, s’étaient construits mutuellement, avaient rebâti la porte, puis avaient réintégré le chambranle pour attendre les dégâts. Ford se demanda quel genre d’existence c’était là, mais pas longtemps, car il était beaucoup plus préoccupé par le genre d’existence qui était le sien à l’instant présent.

Il inspira profondément et prit ses jambes à son cou.

 

Globalement Inoffensive
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